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L'automutilation: Une nouvelle dépendance

Auparavant, les médecins voyaient rarement des cas d’automutilation. Aujourd'hui, c’est chaque semaine qu’ils en rencontrent. On estime qu’un jeune sur six se coupe ou se blesse volontairement avec divers objets. Serait-ce un signe de folie? Non, plutôt un appel à l’aide…

L’envie lui prend quand elle s’«engueule» avec ses parents ou quand sa journée a été difficile à l’école. Elle se précipite dans sa chambre à coucher dans l’espoir de s’endormir jusqu’au souper pour tout oublier. Pour se calmer les nerfs et sombrer dans un sommeil profond, Valérie ne se pique pas à l’héroïne, elle ne fume pas un joint. L’adolescente de quatorze ans prend un exacto et se taille le bras ou la cuisse. «Quelques secondes après la coupure, je ressens du soulagement. Je me sens libérée de mes souffrances», explique-t-elle.

Pour Valérie, l’automutilation est une drogue: «On peut faire une comparaison avec la cocaïne; après l’effet, on veut en reprendre. J’ai arrêté de m’automutiler il y a quelques semaines et j’ai failli faire plusieurs rechutes depuis», confie-t-elle. Quand elle voit ses cicatrices, Valérie regrette de s’être coupée. «Mais le mal est déjà fait», dit l’adolescente. Ses parents ont très mal réagi quand ils ont découvert qu’elle s’automutilait: «Si tu recommences, on va te punir.»

Valérie est malheureusement loin d’être la seule à se faire mal volontairement. Selon une étude publiée dans le journal de l’Association médicale canadienne, près d’un jeune sur six s’automutile. Les rares professionnels qui s’intéressent à l’automutilation disent que le phénomène est en croissance. Selon une autre étude réalisée par des chercheurs de McGill, les trois quarts des enseignants ont été confrontés aux comportements autoblessants (CAB). La moitié considère que cela est horrible. «Des écoles expulsent des élèves qui s’automutilent», souligne la psychologue Shawna Atkins, qui voit beaucoup de dossiers d’automutilation aboutir sur son bureau. Bien des intervenants en santé mentale se sentent démunis devant un jeune qui se blesse volontairement. «Pour eux, c’est dégoûtant et même associé à la folie, explique-t-elle. Mais il faut savoir que l’automutilation libère des endorphines. Cela comble un manque, c’est un régulateur d’émotions.»

Les adolescents qui s’automutilent ne sont pas fous. Ces jeunes ont l’impression que le regard que nous portons sur eux est: «T’es bien «fucké». Que fais-tu là?» Il ne faut pas les blâmer ou les culpabiliser. Ce n’est pas un signe de folie, mais de détresse. L’automutilation est un appel à l’aide. Elle a un sens, qu’il faut trouver.

Au début, Annie niait qu’elle se coupait pour signifier à son entourage qu’elle n’allait pas bien. L’adolescente de quatorze ans se décrit comme une fille sociable, toujours de bonne humeur aux yeux des autres, mais aussi très sensible. Quand elle a commencé à s’automutiler, beaucoup de ses proches étaient malades et elle vivait une grande déception amoureuse. «Je vivais un trop-plein d’émotions. J’ai réalisé que je me coupais pour dire au monde: «Aïe! je souffre, c’est sérieux.» Après, tu embarques là-dedans et tu as besoin de ça. Quand tu vis quelque chose d’intense, la première chose qui te vient en tête est de te couper», poursuit-elle.

Comment réagir?

Le fait de s’enfoncer une lame de rasoir, un couteau, un fragment de miroir ou un éclat de verre dans le bras ou dans les cuisses… est pour l’entourage un geste incompréhensible, affolant. Dans la plupart des cas cependant, les blessures sont superficielles. Annie et Valérie n’ont par exemple jamais eu à se rendre à l’hôpital. «Les cas les plus fréquents se résument à des scarifications, souvent du côté opposé à la main dominante et un peu sur les cuisses, explique le pédopsychiatre Martin Gauthier. Il existe des cas plus inquiétants: sur les seins, le visage ou les parties génitales.» Souvent, les gens pensent qu’une personne qui s’automutile nourrit des idées suicidaires. C’est tout le contraire. «Oui, le taux de suicide est plus élevé chez les gens qui s’automutilent. Mais les jeunes ne le font pas avec l’intention de mourir. Ils cherchent un soulagement. La douleur physique soulage une douleur morale, précise le docteur Gauthier. Les écoles envoient aux urgences des jeunes qui ont quelques coupures sur les bras. Il est vrai qu’il faut s’inquiéter, mais il ne faut pas dramatiser.»

Astrid, dix-neuf ans, s’automutile. Elle a également tenté cinq fois de s’enlever la vie. «Ce sont des passages à l’acte complètement différents, explique la jeune femme de Québec. En t’automutilant, tu veux vivre et soulager la douleur en attendant du meilleur. Quand tu veux te suicider, c’est que tu n’en peux plus, que tu veux en finir.»

L’automutilation est plus fréquente chez les filles, de même que chez les personnes qui souffrent de troubles alimentaires, du trouble de la personnalité limite ou qui ont vécu des événements traumatisants durant leur enfance, comme des deuils ou des agressions sexuelles. Les experts ne peuvent cependant expliquer pourquoi les cas d’automutilation se multiplient depuis dix ans. Le docteur Gauthier remarque néanmoins: «Cela révèle quelque chose de notre époque. Pour soulager nos émotions, il faut une recette, une réponse rapide.»

Le film américain Thirteen, à propos d’une jeune adolescente délinquante, est «le film culte de l’automutilation», ont confié des jeunes. Certains sites internet présentent également des personnalités célèbres qui ont déjà dit s’automutiler, comme Johnny Depp, Angelina Jolie, Marilyn Manson ou encore la princesse Diana. On dit aussi que les jeunes de style «emo» (emotional hardcore) sont plus nombreux à se couper. «Il peut y avoir un certain effet de mode, mais c’est plutôt minime», commente le docteur Atkins. Astrid est du même avis. Les jeunes qui s’automutilent le font rarement par conformisme. Ils souffrent.

Trouver le sens

A l’hôpital Sainte-Justine, c’est aussi depuis une dizaine d’années que le pédiatre Jean Wilkins observe des comportements d’automutilation chez les filles anorexiques. Certaines se coupent, alors que d’autres se pincent ou se grattent jusqu’au sang. Lors de notre entretien, le docteur Wilkins a sorti un petit morceau de papier de sa poche sur lequel cinq mots sont gribouillés. Il venait de demander à l’une de ses jeunes patientes d’expliquer pourquoi elle s’automutilait. «Ce sont des mots qui veulent tout dire: changer le mal de place.» Il souligne: «Cette explication-là est bien simple. C’est le contrôle. Cette douleur-là, la petite peut la contrôler, versus celle qu’elle ressent quand elle a trop faim ou qu’elle a trop mangé.»

C’est une surdose d’émotions qui déclenche l’envie de se faire mal. «Ça part tout seul. Je ne peux pas m’en empêcher», a expliqué une jeune patiente. «Je ne le regrette pas, car ça fait du bien», a confié une autre.

S’en sortir…

Comme avec la drogue, vient un temps où cette automutilation ne procure plus l’effet escompté. Le corps s’habitue à la quantité d’endorphines libérées, donc la fréquence et l’intensité des blessures augmentent. «C’est là que les jeunes prennent conscience qu’ils ont besoin d’aide, constate Bernard Desrochers, de Jeunesse j’écoute. Quand ils nous appellent, il n’y a plus de sentiment de libération.»

«La thérapie peut prendre du temps», souligne la psychologue Shawna Atkins. D’abord, il faut déterminer quel but sert l’automutilation. «Nous travaillons trois volets, explique-t-elle. La prédisposition (passé, santé mentale), les éléments déclencheurs (chicanes, ruptures) et le fait que cela se répète (manque d’estime, de confiance).»

Le pédopsychiatre Martin Gauthier ajoute: «Ce n’est pas l’automutilation que nous traitons, car l’automutilation est un symptôme. Il faut établir une relation avec le jeune pour qu’il sorte du secret et qu’il mette des mots à son mal. A l’hôpital, nous avons un projet de thérapie par l’art afin qu’ils s’expriment autrement. Ils doivent développer un autre rapport avec leur corps et en devenir pleinement propriétaire.»

Annie a cessé de s’automutiler naturellement. Aujourd’hui, la jeune femme exprime autrement les sentiments qu’elle vit. «J’écris beaucoup, des poèmes, des chansons. J’écoute aussi beaucoup de musique et je fais du scrapbooking. C’est un peu «quétaine», mais j’aime ça et mes amies trouvent ça beau!»

Source: www.topchretien.com , dans le Top info du 1er février 2008.

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