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Les rastas

On les reconnaît à leurs cheveux coiffés en tresses feutrées, les dreadlocks, et à leur bonnet aux couleurs éthiopiennes: rouge, noir, vert et or. Ils sont les descendants des africains emmenés en esclavage et rêvent d’un retour en Afrique, sensé les libérer. Ils croient:

  • que Dieu et Jésus étaient des noirs
  • que Dieu s’est fait homme, non en Jésus, mais en Haïlé Sélassié, roi d’Ethiopie, qui est toujours vivant, mais dans une autre dimension
  • que la Bible est un livre saint, écrit par et pour les noirs, mais dont le contenu n’est pas entièrement acceptable
  • qu’ils sont les vrais juifs
  • que les blancs sont des démons

La musique reggae et la ganja (marijuana) jouent un grand rôle dans leurs méditations mystiques (ce qui n’est pas favorable à leur intégration dans le monde du travail). Ils ont une bonne moralité et se disent pacifiques... bien que certains sympathisants soient parfois violents.

Les dreadlocks

Les rastas laissent pousser leurs cheveux en mèches désordonnées dans le but avoué de susciter la crainte chez les gens. C’est pourquoi on les appelle en anglais «mèches d’effroi». Elles sont aussi  le signe de sa consécration et de sa dévotion à la foi rasta. Plus elles sont longues, mieux c’est. C’est pourquoi il est impensable pour lui de les couper.

Les rastas et le reggae

Le reggae et les dreadlocks ont le vent en poupe, il suffit de faire un tour dans un festival pour s’en convaincre! Ils jouissent d’un net regain d’intérêt auprès des jeunes, même si ces derniers ignorent souvent ses racines. Le reggae est un véhicule puissant qui servira à répandre la philosophie rasta dans le monde entier. Même si son prophète, Bob Marley, a rejoint en 1981 l’enfer enfumé de Jah Rastafari, le reggae reste une des musiques favorites des jeunes. Ils sont sensibles à son cocktail d’exotisme et de mysticisme africo-jamaïcain, à ses rythmes souples, syncopés et lancinants, sans parler de l’herbe sacrée, la ganja, qui satisfait leur besoin de transgression et de rébellion. Musique populaire issue du ghetto, c’est en 1974 qu’elle est découverte par le grand public et le milieu du show business international grâce à Eric Clapton qui reprend "I shot the sheriff"de Bob Marley. Très vite, ses rythmes chaloupés vont faire le tour du monde. Une musique entre colère et révolte, côté rasta et plaisir et soleil, côté tourisme; elle fascinera beaucoup de rock-stars mondiales qui s’essaieront à ce style.

Alain Kreis

L’histoire du rastafarisme

L’histoire du rastafarisme est récente; ce mouvement prend racine dans la misère criante et le déracinement des descendants des populations noires emmenées en esclavage dans les plantations de canne à sucre des îles. Il exprime leur aspiration très forte à la dignité et à la liberté par l’affirmation de la supériorité des noirs et par l’espoir d’un hypothétique retour sur leurs terres d’origine, en Afrique. Il naît dans les années 1920 avec un «prophète» jamaïcain, Mosiah Garvey qui prédit que bientôt un roi noir sera couronné en Afrique, et qui fonde L’Association universelle pour l’amélioration des noirs.

En 1930, quand Ras (= Prince) Tafari, qui prétend être un descendant direct du roi Salomon et de la reine de Saba, est couronné empereur d’Ethiopie sous le nom d’Hailé Sélassié, les jamaïcains pensent qu’enfin leur Messie est arrivé. On lui confère des titres impressionnants, en rapport avec sa prétention d’être un «fils de David»: Lion de la tribu de Juda, Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Il est considéré à la fois comme  Dieu et comme homme: Jah Ras Tafari. Il est mort en août 1975, mais les rastas pensent qu’il est vivant à jamais.

Le phénomène se mua en secte religieuse partout où se trouvaient des communautés jamaïcaines. Les rastas se considéraient comme les enfants d’Israël des temps modernes, en captivité sur une terre étrangère et en attente d’un sauveur qui les conduirait sur leur terre promise. Ils sélectionnaient certains passages de la Bible avec lesquels ils pouvaient s’identifier (l’esclavage en Egypte et en Babylonie, par exemple; une bible noire fut même élaborée, qui prétendait démontrer que Dieu et ses prophètes étaient tous noirs), lui adjoignaient des doctrines invraisemblables sur la suprématie noire et réinterprétaient le tout sous effet de  drogue. Pris littéralement, c’était n’importe quoi, mais comme source de fierté, d’identité et d’espérance, le procédé se révélait efficace.

Si Garvey a été le concepteur de ces idées, il fallut attendre que Bob Marley en fasse la synthèse et surtout les diffuse à large échelle grâce à la rythmique envoûtante du reggae. Dans l’une de ses chansons les plus célèbres, Exodus, il énonça clairement les doctrines rastas: «Ouvre les yeux et regarde en toi-même. Es-tu satisfait de la vie que tu mènes? Nous savons où nous allons! Nous savons d’où nous venons. Nous partons de Babylone. Nous allons sur la terre de notre Père.» Considéré par les rastas comme prophète, guérisseur et prêtre, Bob Marley recevait des présages, des rêves prémonitoires et des visions parfois fumeuses (drogue oblige), il annonçait la fin du monde, la chute et la destruction de Babylone (son grand-père, qui l’a élevé, était sorcier de magie blanche). Devenu très rapidement célèbre, Marley a fait des tournées dans le monde entier et vendu pour plus de 250 millions de dollars de disques. Quand il mourut d’un cancer des poumons en 1981, on lui fit des obsèques nationales. Le reggae, comme le blues, était pour les noirs une réplique à la pauvreté, au désespoir et à l’exploitation. Les blancs aussi raffolèrent de cette musique, synthèse de soul et de rythmes africains, appelée d’abord ska et rock-steady. Les crinières tournoyantes et l’utilisation rituelle de la drogue ajoutait une touche hippie très appréciée des soixante-huitard.

Les premiers rastas pensaient que Sélassié ferait affréter des navires pour les rapatrier en Ethiopie, où ils prospéreraient sur une terre magnifique et seraient acceptés. Quand on confronte leur rêve à la réalité du pays, où règne la famine, la guerre et la corruption, ils répondent que ça n’a aucune importance, l’Afrique doit être libre, et pour les Africains. Même si leur terre promise ne reste qu’un rêve, les rastas pensent qu’ils disposent déjà de techniques susceptibles de leur en donner l’accès: ils ont la musique et la ganja (ou marijuana).

La musique a toujours joué un grand rôle dans leur culture; avec l’aspect mystique, l’utilisation de rythmes hypnotiques pour engendrer des états de conscience modifiés était fréquente sur l’île. Nous retrouvons cette propension dans le reggae, qui est une expérience très physique: on peut littéralement vibrer avec le son.

La ganja, elle, est devenue une espèce de sacrement rasta: elle est considérée avec  une déférence mystique, non seulement comme moyen d’échapper momentanément à l’existence babylonienne, mais aussi pour purifier le cœur, entrer en contact avec JAH et susciter l’harmonie entre les gens. Bob Marley a déclaré un jour: «Les politiciens sont des démons corrupteurs; ils ne fument pas d’herbe parce que, quand on fume, on pense tous pareil et ça, ils ne veulent pas». Les rastas tentent de faire légaliser la ganja, en prétendant qu’elle est pour eux un sacrement semblable à la sainte cène; ils la justifient par des versets bibliques pris hors contexte, tels que «Voici, je vous donne toute herbe portant semence...» ou «il y avait un arbre de vie dont les feuilles servaient à la guérison des nations». Pas vraiment convaincant!

La faiblesse du rastafarisme tient au fait qu’elle est une espérance manifestement trompeuse. Non, Haïlé Sélassié ne reviendra pas conduire les descendants des esclaves vers la merveilleuse terre d’Ethiopie au milieu d’un occident en ruines. Les drogues, si elles procurent bien des moments d’oubli et l’illusion d’une harmonie entre les hommes, ne font, à terme, qu’émousser toute motivation et déformer la perception du réel. Le rasta engagé se retrouve finalement aux antipodes de la rédemption à laquelle il aspire tant. Le sens de l’engagement et la passion présents dans le reggae font de lui une musique des plus créatives; on trouvera une vraie prise de conscience d’exilés et une certaine beauté à cette histoire de voyage de Babylone à Sion. Mais beauté n’est pas synonyme de vérité...

Le poète antillais Linton Johnson, qui enregistre ses œuvres avec des musiciens de reggae, pense que le rasta est une façon mythique de donner un sens à une réalité politique ingrate; mais une façon dangereuse aussi dans la mesure où elle rend ses adeptes aveugles devant la réalité: «Il y a beaucoup de positif là-dedans; il a rendu aux jamaïcains le sens de leur dignité et un élan de fierté pour cet héritage africain... il a enrichi leur culture et leur langage. Mais tout ce bavardage sur le retour en Afrique... c’est un château en Espagne. Il y a des rastas qui tapent sur leurs tambours en psalmodiant leurs chants et qui arrivent ainsi au septième ciel; alors oui, pendant un moment, ils peuvent se retrouver en Ethiopie aux pieds de Sélassié, ou bien siéger sur le Trône d’Or. Mais une fois l’effet de l’herbe dissipé et la musique terminée, il n’y a plus qu’à revenir à la dure et laide réalité de la vie. Une des choses à dire sur le rastafarisme, c’est qu’il a empêché les masses d’identifier leurs véritables ennemis.»

Anne Kreis

Sources: Entre rock et ciel, de Steve Turner; Sectes et fois nouvelles, de John Butterworth        

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