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De l'esclavage à la liberté

En 1983, arborer une boucle d'oreille à l'école, à l’âge de quinze ans, c'était faire preuve de courage; c'était hyperbranché et surtout cela montrait qu'on n’avait pas peur de nos parents, qui étaient contre cette mode, bien évidemment.

J'avais entendu dire qu'avec deux glaçons pour endormir le lobe de l'oreille et une aiguille passée à la flamme d'un briquet, on pouvait régler l'affaire soi-même, moyennant l'achat d'une boucle d'oreille du type “clou” en argent, à porter en tout cas pendant les deux premières semaines. C'était bien moins cher que d'aller chez un bijoutier; et puis, s'il fallait une autorisation signée, pour les mineurs, c'était râpé! Il n'en fallait pas plus pour que mon désir de rébellion puisse prendre une nouvelle forme et que je capte l'attention des autres quelque temps.

Heureusement que j'avais déjà les cheveux longs! Cela m’a permis d'éviter la question fatidique au moins une semaine. Finalement, en sortant de la douche un soir, les cheveux plaqués sur la tête (j'en avais oublié la présence du nouveau signe distinctif avec la douleur des premiers jours), j’ai été découvert. Mon beau-père me traita de “pédé” pendant un mois. Dans sa culture, c'étaient les homos qui avaient des boucles d'oreilles; mais on savait bien que, eux, ils la portaient à droite, alors que moi, je m'étais charcuté l'oreille gauche dans ma piaule, en rentrant de l'école.

Plus tard, j'avais une collection assez sympa de croix gammées, de têtes de mort, d’éclairs, de plumes d'Indien et d’autres trucs zarbi, mais qu'un seul trou; j’ai donc décidé d'agrandir la possibilité d'arborer mes nouveaux symboles de contestation. J’ai fini par avoir quatre trous, non sans mal, une tentative infructueuse s'étant soldée par une infection purulente qui a duré des semaines. Mais il faut souffrir pour être beau!

Finalement, bien des années plus tard, alors que je venais de me convertir et que je mettais ma vie en ordre selon la parole de Dieu, je suis tombé sur ces versets: “Si un esclave vous dit qu'il ne veut pas vous quitter, parce qu'il vous aime, vous et votre famille et qu'il se sent bien chez vous, prenez alors un poinçon et percez-lui l'oreille contre la porte de la maison; il sera ainsi votre esclave pour toujours. S'il s'agit d'une esclave, vous ferez de même.” Deutéronome 15:16-17  Voilà qui donnait un tout autre sens à mon geste.

Même si j'avais jeté tous ces symboles de mon ancienne idolâtrie de la mort, de l'occulte et de la violence personifiés par ces boucles d'oreille, pour les remplaçer par de “pieuses” croix chrétiennes et autres poissons ou colombes, j'étais toujours esclave de cette rébellion envers mes parents d'abord, mais aussi, par extension, envers l'école, la société, tout supérieur hiérarchique, chefs et patrons compris! J’ai commencé à comprendre pourquoi je n'avais jamais réussi à garder un boulot plus de quelques mois, pourquoi j'avais fini par me droguer, par voler et pourquoi on m'avait jeté en prison, pourquoi je ne supportais pas la vue d'un uniforme de policier. J'ai donc décidé de tout jeter et, finalement, je n'en ressens aucun manque.

Comme le dit Paul: “Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas utile; tout m'est permis, mais je ne vais pas me laisser réduire en esclavage par quoi que ce soit.” (1 Corinthiens 6:12)

Thierry Lesquereux

 

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