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Guérisseurs: un best seller contestable

Dès sa parution en novembre 2008, ce livre de Magali Jenny (Editions Favre) sur les guérisseurs, rebouteux et faiseurs de secret en Suisse romande a fait fureur; en moins d’une année, on en est déjà à la cinquième édition, avec plus de trente mille exemplaires vendus. Cet engouement est à la mesure de la recrudescence de ces pratiques, de leur popularité chez un très large public et des inévitables questions sans réponse qu’elles soulèvent. Il faut dire d’emblée que ce livre est fondé sur une recherche effectuée pour un travail de licence en anthropologie sociale et culturelle; nous aurions donc pu nous attendre à en apprendre davantage non seulement sur les pratiques elles-mêmes, mais sur leurs origines, leurs fonctionnements, leurs taux de réussite et leurs éventuels effets secondaires. Or il n’en est rien, et je dois dire que, sur ce plan (le sérieux et l’objectivité d’un travail universitaire), j’ai été très déçue.

L’auteur prétend être neutre et ne pas chercher à changer les opinions de ses lecteurs. Mais c’est une grosse plaisanterie! Son livre, tant par son contenu que par sa forme, est une publicité pour toutes ces pratiques populaires ancestrales. La première partie tente de répondre à un certain nombre de questions soulevées par ces pratiques (nous y reviendrons), la deuxième dresse une cinquantaine de portraits, tous flatteurs, de guérisseurs très divers et de tous les cantons romands, la troisième est un répertoire d’adresses de guérisseurs par cantons et par spécialités.

Voici, un peu pêle-mêle, mes notes de lecture, mes impressions et mes commentaires:

⦁ Au niveau des origines de ces pratiques, on n’apprend pas grand-chose si ce n’est qu’elles existent depuis la nuit des temps (peut-être depuis les druides), que les premiers écrits remontent au Moyen Age et qu’elles sont mêlées à la tradition catholique depuis l’Inquisition (on fait appel aux saints pour échapper aux procès en sorcellerie).

⦁ L’auteur classe les guérisseurs en trois groupes: les magnétiseurs/radiesthésistes/énergéticiens, les rebouteux et les faiseurs de secret… plus les inclassables!

⦁ Tant les pratiques que les croyances des guérisseurs sont très diverses; pour les pratiques, il y a peu de règles fixes que tout le monde respecte, même celles de leur transmission s’assouplissent notablement, plus ou moins selon les cantons. Ils ont facilement des avis différents, voire opposés, sur bon nombre de questions.

⦁ Pour les croyances, nous trouvons de tout! La plupart croient en Dieu ou en une force supérieure, que certains définissent plus ou moins et d’autres pas. Beaucoup de ces croyances sont «bricolées», c’est-à-dire qu’elles empruntent certains éléments à la foi chrétienne (le plus souvent catholique) et d’autres éléments à des croyances personnelles ou définies (comme le chamanisme). Certains pensent que ces pratiques sont liées à la religion, d’autres pas.

⦁ Beaucoup, mais pas tous, ont vu leurs dons s’exprimer dès l’enfance ou l’adolescence (ils ont souvent des ancêtres qui avaient aussi des dons). Ils ont reçu ces dons (ou pouvoirs) de manière très diverses, souvent après des souffrances (accidents, maladies): par hérédité (plusieurs pensent que c’est un don de Dieu), par écriture automatique, par magie blanche, par une technique enseignée (médium, radiesthésie, reiki, etc.) ou même fortuitement.

⦁ Les guérisseurs admettent presque tous qu’ils pourraient faire du mal avec leur don, mais qu’ils se l’interdisent par motif de conscience ou par peur des retours de manivelle. Plusieurs se sont vu offrir de grosses sommes d’argent pour nuire ou même tuer.

⦁ Le don fait peur aux autres (les guérisseurs sont à la fois craints et admirés) et également à celui qui le reçoit (certains mettent du temps pour l’accepter et le pratiquer).

⦁ Il y aurait échange entre le mal du consultant et l’énergie du guérisseur, c’est pourquoi beaucoup parlent de la nécessité de se protéger ou de passer par certains rituels pour se débarrasser du mal qu’ils ont pris sur eux. Beaucoup de guérisseurs sont atteints par des maladies.

⦁ De manière subtile, Magali Jenny parle de manière positive des guérisseurs et de leurs pratiques et présente, de manière négative, les réticences ou les objections de l’Eglise, des chrétiens ou des médecins. On sent chez elle une adhésion d’un côté et une distance, une méfiance et un certain mépris de l’autre. Elle a clairement des préjugés favorables envers les guérisseurs et leurs multiples théories et défavorables envers «ceux qui pensent savoir» (que nous pouvons ressentir comme un peu demeurés, car pas ouverts à l’inexpliqué).

⦁ Tout au long de l’ouvrage, elle passe comme chat sur braise sur la principale objection des chrétiens (à savoir qu’ils voient derrière ces pratiques des œuvres occultes, donc diaboliques); nulle part elle prend sérieusement cette opinion en considération, elle ne cherche pas à la comprendre ni même à la réfuter.

⦁ A plusieurs reprises, elle insiste sur le fait que nous ne pouvons pas tout expliquer, mais que cela ne doit pas nous empêcher de bénéficier de ces guérisons insolites. Nous serions bêtes de nous en priver, puisque cette médecine populaire ne peut pas faire de mal; l’important est que cela fonctionne! Je trouve de tels propos renversants pour une universitaire. Comment peut-elle être légère (ou aveugle) au point de ne pas être capable de poser les bonnes questions et de chercher dans ces directions? Des questions comme: «Est-il vrai que cela ne fait pas de mal?» (Il n’y a aucune question posée dans ce sens à ceux qu’elle interroge, aucune recherche pour découvrir des effets secondaires, malgré le témoignage rapporté par Werner Lehmann.) «Qui sont les aides/entités/esprits/guides spirituels avec qui certains guérisseurs interagissent?» «Le magnétisme animal (défini comme une énergie autour des êtres vivants) peut-il à lui seul fournir des images, des mots ou des diagnostics précis?» «Qu’est-ce qui se cache derrière tous ces mots, notions ou choses?» «Est-ce vraiment sans danger?» «Sur quel élément les chrétiens affirment-ils que ces pratiques sont diaboliques?» «Quelle est leur expérience à ce sujet?»

⦁ Dans les faits, elle accepte généralement les diverses théories des guérisseurs sans se poser de questions, ou plutôt elle juge que ce n’est pas important de connaître la source de ces pouvoirs ni leur façon d’agir. Bien des questions restent sans réponse, par exemple le fait que, jusqu’ici, personne n’a quantifié le taux de réussite et d’échec de ces pratiques. Elle se contente d’en faire le constat, mais ne s’attelle pas à la tâche.

⦁ La manière dont elle traite la pensée catholique sur le sujet est assez significative; elle cite en trois lignes un représentant officiel qui met clairement en garde contre ces pratiques, puis cite durant plus de trois pages un théologien (dont je serais curieuse de connaître le crédit auprès de son église; personnellement, je l’ai trouvé confus) qui va dans son sens.

⦁ Etonnamment, elle donne la parole au pasteur d'une l’église évangélique pour partager son expérience dans le domaine de la guérison et de la délivrance. Pour moi, ce sont les deux seules pages lumineuses de cet ouvrage, où la vérité est exposée sans mélange.

⦁ Un dernier commentaire au sujet de la fidélité de la clientèle dont plusieurs guérisseurs se targuent: pour moi, c’est plutôt une tare puisque ces clients ont sans cesse besoin de recourir à leurs services! Est-ce à dire que le mal est seulement déplacé? ou que la guérison est limitée dans le temps?

Bien sûr, mon analyse découle d’un point de vue chrétien. Or l’auteur n’a pas ce regard, ni le recul et le discernement que nous donne la Bible, ce qui explique en partie les lacunes de son ouvrage, que nous ne recommandons à personne!

Anne Kreis

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