Pirater des CD de louange? Un non-sens!
Interview de Séphora, la musique de la vie! par Alain et Anne Kreis
Chaback: Séphora est bien connue dans le monde chrétien francophone. Marc Brunet, toi, qui diriges cette entreprise, peux-tu nous dire deux mots de son histoire?
Séphora: C’est une longue histoire qui a commencé il y a plus de trente ans. Mon père était pasteur et très tôt j’ai eu envie de travailler aussi pour le Seigneur. Durant ma scolarité, j’ai toujours été fier du métier de mon père. Vers l’âge de quatorze ans, j’ai commencé à chanter à l’église avec mon frère Yves. Rapidement, nous avons formé un groupe et organisé des concerts d’évangélisation. C’est en 1972 à Agen que mon père avait organisé avec quelques amis le premier festival chrétien de musiques actuelles.
Ensuite nous avons déménagé à Reims, et je me suis mis à travailler la batterie six heures par jour pour monter un groupe professionnel. J’ai joué dans plusieurs groupes, puis, lorsque mon frère a monté son studio d’enregistrement, je me suis joint à lui et, avec très peu de moyens, nous avons alors démarré une structure en vue d’aider les chanteurs et musiciens chrétiens. Ensuite nous avons lancé un magazine d’information artistique et démarré l’organisation de concerts et la vente de matériel de sono. C’était en 1978. Séphora venait de naître!
Plus tard, nous avons décidé de mettre la priorité sur la distribution de musique (les «33 tours» à l’époque!). Pour faire imprimer le premier catalogue Séphora, j’ai dû mettre en vente le seul bien que je possédais: ma guitare électrique. En 1984, avec mon autre frère Jean-Luc et son épouse, nous avons monté une société pour développer cette activité commerciale de production et de distribution. Aucun d’entre nous n’était encore salarié à l’époque.
Et puis tout s’est développé. Nous avons eu des hauts et des bas, bien sûr, et en 1997 nous emménagions dans des bâtiments neufs que nous avions fait construire à Montélier, près de Valence.
Ch.: J’ai vu vos locaux; vous avez grandi de façon impressionnante! Combien de collaborateurs employez-vous?
Séph.: Aujourd’hui, nous sommes huit personnes. Nous étions douze à une époque. Il y a quelques mois, nous avons dû, à regret, fermer notre studio d’enregistrement et donc nous séparer de notre directeur artistique, collaborateur depuis de longues années.
Ch.: Depuis quelques années, les temps sont plus difficiles. Que se passe-t-il?
Séph.: La musique est un domaine en évolution constante, principalement en raison des mutations technologiques. Nous ne l’utilisons plus de la même manière aujourd’hui. L’arrivée du CD avait déjà bien bouleversé les choses, et ensuite le développement du format MP3 et de l’internet a facilité la copie et l’échange de fichiers de manière rapide et très simple. Mais ce n’est pas la seule raison qui explique la chute des ventes de CD; dans les temps difficiles de crise économique, acheter de la musique est moins prioritaire que subvenir aux besoins vitaux (logement, nourriture, etc.). Surtout quand nous pouvons obtenir de la musique par ailleurs sans trop de frais... Les ventes baissent de sept à dix pour cent tous les ans. Il existe un cadre légal dans lequel nous pouvons acheter et écouter de la musique, mais le téléchargement légal est loin de compenser la baisse des ventes de CD.
Ch.: Ainsi, les gens qui piratent la musique chrétienne mettent en péril votre entreprise et, j’imagine, aussi les artistes…
Séph.: Absolument. A moyen terme, les conséquences seront probablement dramatiques pour les très petites entreprises du marché chrétien francophone et pour la création artistique. Nous n’avons par exemple plus sorti d’album sous notre label (c’est-à-dire financé la production d’un artiste) depuis deux ans. Nous n’en avons plus les moyens car, les ventes de CD diminuant tous les mois, il devient très difficile d’amortir les frais. Nous ne pouvons malheureusement plus envisager de subventionner la production chrétienne, et c’est bien dommage pour les artistes francophones.
Ch.: Parle-nous un peu de l’éthique à appliquer dans ce domaine…
Séph.: La situation est assez simple. Nous avons le droit de faire une copie pour soi-même d’un album que nous avons acheté, mais nous ne pouvons pas en faire une pour un ami, même gratuitement.
Ch.: Et avec l’internet, on se croit tout permis; mais qu’en est-il vraiment?
Séph.: Il n’est pas autorisé de télécharger des fichiers ou de mettre à disposition de la musique sur l’internet sans avoir soit réglé des droits pour une telle utilisation de la musique, soit obtenu l’autorisation du producteur/propriétaire. Libre à lui de demander une rémunération ou non.
Ch.: En fait, c’est un non-sens de pirater des CD de louange; nous ne pouvons pas adorer Dieu tout en volant son prochain, c’est incompatible!
Séph.: Les gens n’ont pas toujours conscience de «voler» en copiant de la musique pour des amis ou leur famille, surtout quand il s’agit de chansons chrétiennes qui ont été créées pour bénir et encourager. Parfois ils ont même l’impression de faire une bonne action! Mais ils oublient qu’au départ il y a tout un travail, un investissement financier important (quand c’est fait de manière sérieuse et dans un cadre légal), et qu’il faut bien que quelqu’un prenne en charge ces dépenses. Si l’artiste ou le producteur a les moyens de le faire sans attendre de retour pour rembourser ses frais, tant mieux! Mais c’est rare. Et, si ce n’est pas le cas, il a besoin d’être rémunéré pour continuer son ministère. Si nous utilisons sa création sans participer à ses frais, effectivement nous le volons et nous le paralysons. Qui aurait idée d’aller se servir dans un magasin et de partir la conscience tranquille, sans payer?
Il faut savoir que très peu d’artistes chrétiens francophones vivent confortablement de leur art. Pour eux, chaque titre ou album piraté affecte directement leur nécessaire pour vivre et poursuivre leur ministère.
Ch.: Comment faire passer le message et changer les mauvaises habitudes?
Séph.: Il faut faire évoluer les mentalités et faire savoir que, si les albums continuent à être ainsi piratés, les artistes n’auront plus les moyens d’enregistrer de nouvelles chansons, et finalement l’Eglise sera privée d’une grande bénédiction.
Ch.: Après trente années, êtes-vous toujours convaincus de l’utilité de la musique chrétienne?
Seph.: Plus que jamais. La musique a toujours eu une grande influence sur chacun de nous, positive ou négative, et en particulier sur les jeunes qui en écoutent plusieurs heures chaque jour. Elle joue aussi un grand rôle et fait partie intégrante de la vie des chrétiens. Voyez dans la Bible toutes les mentions à la musique.
Quant à Séphora et à tous ceux qui travaillent dans le domaine de la musique aujourd’hui, il nous faut trouver sans cesse de nouveaux moyens d’accompagner les changements radicaux qui transforment la société. Nous devons relever un défi compliqué, celui d’adapter notre manière de travailler face aux bouleversements technologiques tout en répondant aux attentes du public et en respectant le travail des artistes et des producteurs.
Séphora, la musique de la Vie – www.sephoramusic.com